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Kingdom of Heaven de Ridley Scott
Avec : Orlando Bloom, Eva Green, Liam Neeson, David Thewlis, Edward Norton

1186, France. Balian, jeune forgeron, n’attend plus grand chose de la vie après la mort de sa femme et son fils quand un croisé du nom de Godefroy d’Ibelin, baron du roi Baudoin IV de Jérusalem, vient le trouver. Il lui révèle qu’il est son père et lui demande de l’accompagner en Terre Sainte pour y maintenir une paix devenue fragile entre chrétiens et musulmans. Balian accepte mais Godefroy est mortellement blessé au cours d’une embuscade. Juste avant de mourir, le père transmet à son fils son titre et ses terres à Jérusalem. Lorsque Balian arrive là-bas, c’est pour découvrir que la soif de pouvoir de quelques chevaliers et la montée du fanatisme religieux menacent l’équilibre de la trêve instaurée par un Baudoin mourant et Saladin.

Depuis son retour triomphal dans l’arène des réalisateurs qui pèsent avec Gladiator, Ridley Scott aménage méthodiquement son temps de travail alternant les superproductions (Black Hawk Down) et les films moins imposants (le très oubliable Hannibal et la sympathique comédie Matchstick men). Avec cette histoire de chevalerie située entre la deuxième et la troisième croisade, tout laissait à penser que Ridley Scott reviendrait au spectaculaire. Quoi de plus normal pour l’homme qui a remis l’épopée historique monumentale au goût du jour il y a cinq ans ? Alors, on attendait Kingdom of Heaven parce que Ridley Scott est un des rares cinéastes actuels à faire jaillir la poésie contemplative au beau milieu du spectaculaire. Mais cette attente se doublait d’une certaine appréhension tant l’incontestable technique de Scott s’est parfois révélée étouffante (on pense à Legend ou Black Rain). Enfin, pour ne rien arranger, la Fox imposa Orlando Bloom, l’irritante coqueluche des préadolescentes, dans le rôle de Balian au détriment de Paul Bettany…

Malgré cela, Kingdom of Heaven surprend par le décalage entre l’esthétique onirique de l’ensemble et le soin méticuleux apporté pour restituer de façon crédible les enjeux de l’époque des croisades en se concentrant sur les luttes intestines dans la cour du roi de Jérusalem (quelques simplifications mais rien à voir heureusement avec les maladresses de Troy.) Bien sûr, Ridley Scott ne renonce pas aux exploits guerriers, ni aux chocs du croisement des fers mais l’excellente idée est de les reléguer au second plan pour décrire avec l’élégance qu’on lui connaît l’aberration de la guerre sous toutes ses formes, religieuse inclus. En analysant les origines de cette folie destructrice, Ridley Scott signe une mise en images traversée par une sorte de sérénité qui était absente de Gladiator. Si la contemplation est au cœur de l’esthétique des deux films avec des plans incroyablement travaillés, Kingdom of Heaven délaisse le côté obsessionnel et frénétique pour adopter une tonalité plus flottante, plus lente aussi mais idéale pour exprimer ses interrogations.

Kingdom of Heaven est plus un questionnement qu’un pamphlet anti-religieux car il oppose la pureté de la foi et des idéaux et leur corruption à travers les protagonistes : de l’origine pure de la foi (Godefroy magnifiquement campé par Liam Neeson) à sa perversion par le pouvoir et l’orgueil en passant par le pessimisme lié à cette récupération (majestueux Jeremy Irons) et le fatalisme quant au destin du monde (trop rare Davis Thewlis.) Chaque personnage a une vision bien arrêtée sur le but d’une croisade. De ce fait, Balian est plus un témoin essayant de donner un sens à sa vie qu’un authentique acteur, dans ce jeu de force où l’hésitation des humanistes est balayée par la détermination vengeresse des fous de Dieu, et, contre toute attente, Orlando Bloom s’en sort plutôt bien. A ce titre, Ridley Scott a su mettre en valeur le rôle de Sybille, sœur de Baudoin, tiraillée entre ses aspirations de princesse, sa fascination pour le pouvoir et le besoin de faire ce qui est juste.

Cette idée de justice est intéressante car elle se veut universelle et ne cherche pas à donner raison aux chrétiens ou aux musulmans. Balian accepte les terres de son père et plus tard de protéger la population de Jérusalem de l’attaque de Saladin parce que “cela est juste”. Cette dimension universelle se ressent dans les différents morceaux de bravoure où finalement Ridley Scott s’intéresse moins à la grandeur individuelle des guerriers qu’à la stratégie qu’ils déploient pour protéger les populations civiles innocentes : vision par ailleurs confirmée par la non-représentation du combat entre les armées de Saladin et Guy de Lusignan, où seul est montrée le résultat du massacre. Ridley Scott atteint le sommet de son art dans cette mise en scène du spectaculaire avec une clarté dans le cadrage et le montage de ces séquences, aboutissant à un niveau d’efficacité colossal pendant la dernière partie du film.

Alors on pourra toujours argumenter sur la description parfois simpliste de certains évêques hurlant au blasphème au moindre désaccord, l’utilité de ce plan d’Orlando Bloom torse nu, l’interprétation surlignée de Marton Csokas dans le rôle de Guy de Lusignan ou les quelques longueurs. Mais ce ne sont que des gouttes d’eau dans un film déroutant parvenant à marier les canons de Hollywood avec un fond suffisamment riche pour produire une réflexion intéressante, à défaut d’être abyssale, sur la folie passée des hommes et celle contemporaine frappant trop souvent le Moyen-Orient. C’est suffisamment rare pour le souligner.
J.F. 

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