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Last Days de Gus Van Sant
Avec : Michael Pitt, Lukas Haas, Asia Argento, Scott Green, Nicole Vicius

Déjà mort

Blake, jeune homme à l’allure négligée, marche dans les bois, murmure de temps à autre un sabir incompréhensible. Obéissant à ses envies immédiates, Blake se baigne dans un cours d’eau, brûle des brindilles pour sécher ses vêtements, la nuit tombée, et s’enferme le jour suivant dans une maison reculée. Ses occupants ne se soucient guère de l’intrus qui, de toute façon, évite autant qu’il peut tout contact. On apprend peu à peu que Blake est une rock star dépressive et camée, échappée de son centre de désintoxication, que la maison est sienne et les autres des parasites. Last Days relate les dernières quarante-huit heures d’un homme qui pourrait bien être Kurt Cobain.

L’originalité du projet tient à ce parfum d’hypothèse embaumant le film. Alors, autant être clair : Last Days n’a rien d’un biopic rock de facture classique narrant l’ascension puis la décadence d’une figure mythique. Autrement dit, ceux et celles qui attendaient un The Doors version grunge risque fort d’être déroutés. Du leader suicidé de Nirvana, Michael Pitt ne conserve que la fragilité, l’accoutrement cradingue, et les cheveux hirsutes. Sur son funeste destin, Gus Van Sant n’assène aucune certitude, ne déroule pas de chronologie linéaire, tout comme ses deux précédents films, Gerry et Elephant, avec lesquels il forme une trilogie sur le passage à l’acte et la mort de l’adolescence. Il réutilise la radicalité quasi expérimentale du premier avec son enchaînement de plan-séquences étirés pour faire basculer la fiction vers une pure expérience sensorielle, épousant avec une grande douceur la réalité de Blake devenue suffocante. Avec le second, il s’attaque de nouveau au fait-divers pour le transformer en rêverie omnisciente par la multiplication des points de vues afin de tuer dans l’œuf toute tentation voyeuriste et ainsi atteindre la couche émouvante de l’irrémédiable. Gus Van Sant regarde cette star, tellement jeune et déjà fatiguée par la vie, accomplir ses derniers gestes. Blake serait presque l’évolution logique de Mike Waters, le jeune héros narcoleptique et déphasé de My Own Private Idaho interprété par River Phoenix : un adolescent déçu devenu dépressif face à ce vide intérieur vers lequel il se dirige inéluctablement.

L’état de repli hors du monde de Blake est en parfaite adéquation avec la mise en scène de Gus Van Sant : extrême, sec, austère, ne cherchant absolument pas l’adhésion. Et c’est ce qui rend cette souffrance aussi touchante car elle ne se laisse pas enfermer dans le schéma classique de la progression débouchant sur la mort : son chaos intérieur échappe à cette logique et la force de Last Days réside dans ce sentiment général selon lequel Blake pourrait mettre fin à sa vie dans la seconde qui suit, ce qui produit parfois des séquences d’un comique assez inattendu quand il prend le fusil de chasse, affublé d’une robe courte et d’un bonnet péruvien, pour aller chasser le lapin, quand il nourrit de ses grommellements l’inanité du discours mécanique d’un démarcheur des Pages Jaunes, ou quand, en pleine défonce devant la télévision diffusant un interminable clip de soupe R ‘n’B, on l’aiderait volontiers à en finir. Mais ces respirations sont toujours suivies de faux espoirs avec le démarcheur ne revenant dans la pièce pour chercher sa paperasse oubliée alors qu’il a parfaitement remarqué que Blake ne va pas bien, avec Asia ne l’aidant pas quand il est en pleine descente de fix… En fait, Blake ne sort vraiment de sa léthargie que pour passer en mode créatif. De ce mode émergent deux scènes hallucinantes. La première est un long travelling arrière de sept minutes où on le distingue derrière une porte-fenêtre en train de littéralement créer un morceau rock avec ses différentes couches de sons. La seconde, plus classique et jouant davantage sur l’émotion, est une chanson composée et interprétée par Michael Pitt, simple ballade à la guitare sèche résonnant déjà comme un testament.

Car au-delà du voyage immobile et hypnotique, Last Days est aussi un témoignage de l’époque grunge qui n’a jamais vraiment réussi à perdurer après l’autodestruction de son plus éminent porte-parole. Ainsi on y croise parfois les fantômes mythiques de ce passé comme Kim Gordon, bassiste de Sonic Youth, dans le rôle du manager de Blake et, dans un concert de rock alternatif, un rôliste pesant interprété par Harmony Korine, pionnier avec Larry Clark du cinéma white trash, pendant cinématographique du grunge… Alors, quand, à bout de forces, Blake décide enfin de mourir, il le fait sans que le sang coule, simplement au travers d’une métaphore religieuse superbe par sa pudeur, tel un ange gagnant des cieux plus cléments, loin du désenchantement d’une jeunesse américaine, plus près d’une vie meilleure.
J.F. 

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