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Terroriste de John Updike, Seuil
 

Démons

New Prospect, New Jersey. Le temps s’est arrêté ici bien avant le 11 septembre. Les façades ternies des magasins respirent l’amertume, les immeubles laissés à l’abandon se dégradent de jour en jour, le goudron fond et déforme les routes. L’industrie locale mise à mal, les blancs ont laissé la ville déclinante aux minorités et aux immigrants venus en Amérique goûter au rêve américain. Le visiteur attentif peut cependant légitimement se demander ce qu’il reste encore de ce rêve dans cette ville fantôme.

Ahmad Mulloy n’a jamais connu son père. L’homme, un égyptien, n’est jamais parvenu à s’intégrer dans le melting pot américain. Il est parti un beau matin, laissant sa femme, une aide soignante dévouée, élever seule leur fils. Arrivé à l’âge adulte, le jeune homme privé de repères se tourne vers la religion. Malgré l’insistance de monsieur Levy, le conseiller d’orientation du lycée, Ahmad, endoctriné par l’imam du quartier, arrête ses études et devient chauffeur livreur pour le compte d’un américain d’origine libanaise qui le manipule et lui offre la possibilité de mourir en martyr au nom du djihad…

John Updike colle au plus près de son héros et de sa logique implacable. Les signes extérieurs de la société de consommation américaine (télévision, publicité, mode, école…) sont systématiquement rejetés par le jeune homme déboussolé qui n’y voit que la manifestation de démons qui veulent l’éloigner de son Dieu. Les adultes ne font guère meilleure impression : Ils font semblant d’enseigner, ils manquent de conviction. L’Amérique de John Updike ne croit plus en rien sauf en un dieu invisible dont l’auteur pointe les dérives. S’il semble s’amuser de la messe et des prêches du prêtre de la paroisse de Joryleen, John Updike s’inquiète de l’intransigeance portée par les différentes interprétations du Coran transmises à Ahmad : rejet de la culture, de la science, des autres. Le jeune garçon devient presque une machine, ses répliques font froid dans la dos, notamment quand invité à la messe par son amie, il se met à lui parler comme une ennemie.

Mais le danger vient surtout d’adultes manipulateurs exerçant par leur charisme une influence déterminante sur Ahmad. Cette influence, ce pouvoir, Jack Levy ne l’a plus. Le vieux conseiller d’orientation du lycée a perdu toutes ses illusions. La loi du marché régit le monde tandis que la religion, jadis décriée par son grand père, étend son influence sur les couches les plus défavorisées de la population. Sans conviction, Jack Levy ne peut prétendre endosser le rôle de père de substitution et infléchir la volonté d’Ahmad. John Updike fustige ses concitoyens partagés entre cynisme et nihilisme. Un ultime coup du sort sauve cependant cette Amérique désenchantée du désastre annoncé mais le mal est déjà fait et rien ne peut désormais démentir la désagréable impression que le géant américain repose désormais sur des bases fragiles.

Editions du Seuil, 314 pages, 22 euros
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